Huit moyens de se défendre contre le terrorisme par l’action nonviolente

    Historiquement, on constate de nombreux cas où des actions nonviolentes, menées par la société civile, y compris en l’absence de toute action gouvernementale, ont permis de réduire les menaces terroristes.

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    Un de mes cours les plus suivis à Swarthmore College est celui qui traite des moyens nonviolents que l’on peut utiliser pour se défendre contre le terrorisme. Les évènements qui se déroulent aujourd’hui en France rendent le sujet de ce cours encore plus pertinent que jamais.
    De fait, l’ère de la “guerre contre la terreur” qui caractérise la période Post-11 Septembre  s’est accompagnée d’un accroissement des menaces terroristes partout dans le monde.

    Mais tout d’abord, qu’est-ce qui fait croire que des méthodes non militaires puissent avoir un impact sur la réduction de la menace terroriste ?

    J’ai rassemblé huit études de cas pour mes étudiants, présentant des approches non militaires qui ont porté leurs fruits dans plusieurs pays du monde. Ces huit approches composent une « boîte à outils » avec laquelle mes étudiants ont travaillé. Nous n’avons pas perdu de temps dans la critique des moyens militaires contre-terroristes, focalisant notre intérêt sur leurs alternatives non militaires.

    Chaque étudiant a choisi un pays quelque part dans le monde qui connait à l’heure actuelle une menace terroriste et, en prenant le rôle d’un consultant qui serait appelé à conseiller ce pays, a eu pour tâche de développer, à partir de la boîte à outils de l’action nonviolente, une stratégie de défense pour ce pays.

    Ce travail a été à la fois très difficile et très stimulant. La plupart des étudiants se sont passionnés pour leur tâche et certains ont élaboré de brillantes stratégies.

    Les étudiants ont été particulièrement intéressés par les effets de synergie entre ces différentes approches – que se passe-t-il quand la approche 3 interagit avec les approches 2 et 5 par exemple ? J’ai souvent regretté de ne pas avoir un semestre supplémentaire pour traiter de la complexité de la combinaison de ces méthodes non pas en termes additifs mais en termes multiplicatifs, découvrant comment le tout est bien plus puissant que la somme des parties.

    Certains étudiants, qui commençaient le cours avec l’idée préconçue que la défense militaire est un élément crucial, finissaient par s’ouvrir à une perspective bien plus large. Ils se sont rendus compte que, étant donné les succès constatés dans certains pays qui n’ont pourtant utilisé que deux ou trois des approches disponibles, il existe un vaste potentiel encore inutilisé . Que se passerait-il si ces pays avaient recours à tous ces outils en même temps ? Quelles seraient les synergies qui en résulteraient ? La question s’est alors posée: Pourquoi les populations civiles ne choisiraient-elles pas de s’en remettre exclusivement à ces méthodes nonviolentes dans leur défense contre le terrorisme ?

    Quelles sont ces huit approches ?

    1. La construction d’alliances au travers du développement économique

    La pauvreté et le terrorisme sont indirectement liés. Le développement économique peut permettre de réduire le nombre de personnes recrutées par les réseaux terroristes, et permet de gagner des alliés dans la lutte contre ces réseaux, surtout si ce développement procède selon des voies démocratiques. Le terrorisme de l’IRA en Irlande du Nord a été fortement réduit par un processus de développement économique à l’échelle locale, grassroot, favorisant la création d’emplois.

    2. La réduction de la marginalisation culturelle

    Comme la France, la Grande-Bretagne et d’autres pays l’ont appris à leur dépends, la marginalisation d’un groupe au sein de ses propres frontières produit les conditions à partir desquelles le terrorisme peut se développer. Ceci est également vrai à l’échelle planétaire. Le phénomène de marginalisation n’est généralement pas décidé ni voulu par les gouvernements, mais il peut être réduit. La “liberté de parole” peut alors être vécue comme une provocation si elle sert à marginaliser encore plus une partie de la population, comme les musulmans en France. Quand le Canada anglophone a entrepris de réduire la marginalisation culturelle du Québec, il en a aussi réduit la menace terroriste potentielle.

    3. Campagnes nonviolentes en réponse à la violence terroriste, et actions civiles non armées garantes de paix (peacekeeping)

    Il est important de considérer le contexte global dont se nourrit le terrorisme et comment ce contexte influence l’évolution de la menace terroriste. Certaines campagnes de terreur se sont taries faute de soutien populaire. L’usage de la terreur provient souvent d’un choix stratégique visant à attirer l’attention, afin de provoquer une réponse violente et de gagner un soutien moral dans la population dont dépendent les réseaux terroristes.

    L’ascension et la chute du soutien populaire au terrorisme peuvent également être influencées par l’usage de mouvements sociaux utilisant la lutte nonviolente. Le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis a réussi de main de maître à réduire la menace terroriste que faisait peser le Ku Klux Klan sur les activistes. Cette menace était d’autant plus dangereuse qu’on ne pouvait pas compter sur l’application de la loi et de l’état de droit dans les états du Sud. Les tactiques nonviolentes ont réduit l’attraction du KKK auprès de la population blanche favorable à la ségrégation. Depuis les années 1980, les pacifistes et d’autres groupes d’activistes ont développé un nouvel outil à l’application très prometteuse : les campagnes de maintien de la paix civile, organisée de façon intentionnellement nonviolente (par exemple les Brigades de paix internationales).

    4. L’Education et la formation au conflit

    Paradoxalement, on constate que la terreur émerge souvent quand une population essaie de supprimer les conflits au lieu de permettre leur expression. Une méthode de réduction du terrorisme consiste alors de favoriser une attitude pro-conflit et à former la population aux approches du conflit nonviolent permettant aux citoyens de faire entendre leurs griefs et revendications et de s’engager dans le conflit de manière décisive mais nonviolente.

    5. Programmes de régénération post-terrorisme

    On ne peut pas plus prévenir toute action terroriste qu’on ne peut prévenir tout crime d’être commis. On doit se souvenir que les terroristes ont pour objectif d’accroître la polarisation. Les programmes de régénération ou de réhabilitation peuvent aider à la prévention contre la polarisation et contre le cycle de la violence où les faucons d’un côté contribuent à armer les faucons de l’autre côté – un cycle caractéristique du conflit israélo-palestinien notamment.

    Ces programmes permettent de construire de la résilience, pour que la population ne se rigidifie pas dans la peur et ne s’enferme pas dans de tragiques prophéties auto-réalisatrices. Les méthodes innovantes utilisées par les psychologues pour la guérison des traumatismes sont particulièrement pertinentes, de même que certains rituels de guérison collective, tels que ceux utilisés par les norvégiens après le massacre terroriste de 2011.

    6. Transformer les policiers en officiers de la paix

    Le travail de la Police peut devenir bien plus efficace lorsqu’il y a une réduction de la distance sociale entre les policiers et la population des quartiers qu’elle sert. Dans certains pays, cela demande une redéfinition complète de la police, sa fonction n’étant plus alors de défendre la propriété du groupe dominant mais d’être une véritable force de paix sociale – comme c’est le cas de la police non-armée en Islande. Des pays tels que les Etats-Unis doivent joindre l’infrastructure croissante du Droit International humanitaire, telle qu’elle se reflète dans le Traité sur les mines anti personnelles ou dans la Cour Criminelle Internationale, et accepter de rendre des comptes sur le comportement de ses propres officiers dont certains sont probablement des criminels de guerre.

    7. Changer les comportements politiques irresponsables

    Certains gouvernements font parfois des choix politiques qui provoquent de manière presque automatique – comme s’ils les invitaient presque – une réponse terroriste. Robert A. Pape, politologue et consultant pour l’U.S. Air Force, a montré en 2005 que les Etats-Unis se sont comportés ainsi de manière récurrente, en postant ses troupes ici et là. Dans son ouvrage récent « Cutting the fuse »  (Court-circuit) Pape et James K. Feldman donnent des exemples concrets de gouvernement parvenant à réduire la menace terroriste en cessant ce genre de comportement irresponsable. Afin de se protéger de la terreur, les citoyens dans tous les pays doivent regagner contrôle de leur propre gouvernement et l’obliger à avoir un comportement responsable.

    8. La négociation

    Les gouvernements disent souvent qu’ils ne “négocient pas avec les terroristes” mais en la matière ils mentent la plupart du temps. Les gouvernements ont souvent réduit ou éliminé le terrorisme à travers la négociation, et les techniques  de négociation ne cessent de se sophistiquer.

    Une application réaliste de la défense non-militaire contre la terreur

    A la demande d’un groupe d’experts américains en contre-terrorisme, j’ai décrit le travail effectué par les étudiants à Swarthmore et en particulier les huit approches détaillées plus haut. Les experts ont reconnu que chacune de ces approches avait été en effet utilisée dans des situations réelles, dans des situations différentes,  et avec un certain degré de réussite. Ils ont aussi déclaré qu’ils ne voyaient en principe aucun problème pour envisager une stratégie exhaustive qui créerait des synergies entre toutes ces approches.

    Le seul problème qu’ils ont identifié c’est de pouvoir persuader un gouvernement de s’engager dans une politique aussi innovatrice qu’audacieuse.

    En tant que citoyen américain, je me rends compte de la contradiction directe qu’il y a entre, d’une part, les efforts gigantesques de mon gouvernement pour convaincre les contribuables que nous avons désespérément besoin de notre énorme appareil militaire, et d’autre part, une nouvelle politique qui mobiliserait une autre forme de pouvoir, afin de parvenir à une réelle sécurité humaine. Pour mon pays et pour d’autres, il faudrait d’abord une révolution de la pensée.

    Ce qui me semble le plus intéressant dans l’alternative d’une défense non-militaire, c’est qu’elle est une approche qui peut véritablement aider mes compatriotes à améliorer leur sécurité dans un monde de plus en plus dangereux. Le psychologue Abraham Maslow a montré il y a longtemps l’importance de la sécurité comme besoin humain fondamental. L’analyse et la critique du militarisme, même les plus brillantes d’entre elles, ne permettent pas d’accroître la sécurité de quiconque. Mais imaginer une alternative, comme l’ont fait mes étudiants, peut donner aux gens l’espace psychologique dont ils ont besoin pour mettre leur énergie dans une mission porteuse de vie et non de mort.

    Le rôle de la société civile au niveau grassroot

    La bonne nouvelle c’est que nombre de ces huit approches peuvent être appliquées par la société civile, sans attendre du gouvernement qu’il prenne le leadership, ce qui peut ne jamais arriver. Deux d’entre elles sont particulièrement simples à mettre en œuvre: mettre à la disposition du plus grand nombre les compétences sur les stratégies de l’action nonviolente, et former la population à s’engager dans le conflit nonviolent.

    Le mouvement  Black Lives Matter comporte de nombreux Blancs qui ont rejoint une campagne initiée par les Noirs – c’est un cas concret où la marginalisation a pu être réduite, ce qui a généré des dizaines d’innovations créatives par des activistes appartenant à la population majoritaire (classe moyenne, chrétiens, etc. …). Il est aussi possible d’initier des programmes de régénération et de guérison collective, comme cela a été fait après l’attentat du Marathon de Boston.

    Les activistes ont l’habitude de lancer des campagnes pour forcer le gouvernement d’abandonner certaines de ses politiques irresponsables, mais ils oublient souvent que l’activisme lui-même peut aussi s’avérer irresponsable. Face à un public terrorisé, l’activisme de la société civile doit écouter cette peur et répondre de manière adéquate, en se positionnant du côté de la sécurité de chacun.

    Donc, cinq de ces huit approches peuvent être utilisées par la société civile au travers d’initiatives « bottom-up » qui permettent de réduire la menace de la terreur. Ces approches et méthodes peuvent être mises en œuvre par tout groupe cherchant à apporter une réponse holistique et positive à la peur qui peut nous paralyser et nous déprimer. Ici comme ailleurs, lorsqu’on aide  son prochain, on marche d’un pas bien moins pesant et la charge que chacun porte n’en ait que plus légère.



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